Eleni Gkinosati est diplômée de l’École des beaux-arts d’Athènes et de l’atelier de peinture d’Angelos Antonopoulos en 2015. Elle a ensuite continué ses études de master à Londres(Kingston University of London). Depuis lors, elle a été active sur le plan artistique à travers la présentation de son travail dans de nombreuses expositions collectives en collaboration avec des galeries et des espaces d’art en Grèce et à l’étranger. Elle déclare aimer la peinture et la couleur et continue de créer chaque jour de nouvelles séries dans son atelier du centre d’Athènes.

Le travail de Gkinosati se caractérise par un traitement particulier de la couleur ainsi que par la façon dont elle choisit d’organiser la surface de ses toiles. Indifférente à une représentation fidèle et objective de la réalité, à travers des contrastes de couleurs intenses et des textures variées, l’artiste se concentre sur la visualisation du monde tel qu’il apparaît dans son imagination toujours en respectant l’héritage de la peinture abstraite, Gkinosati donne une lueur illusoire et une forme d’agression à son travail, avec des touches spontanées, des gouttes de couleurs dramatiques et des formats monumentaux.

 

Huile sur toile, 2022

 

L’objectif principal de sa pratique artistique est l’expression des émotions humaines en optant pour une utilisation non naturaliste de la couleur. La couleur, outil essentiel de son travail, fonctionne sur la toile blanche comme un canal de l’énergie, des expériences et des émotions ainsi que des angoisses personnelles. Le style dur qu’elle choisit et l’absence de formes spécifiques indiquent une tendance constante à l’autodétermination, un besoin d’émancipation artistique, tout en révélant une recherche de «l’autre». Ses toiles présentent une interprétation personnelle de la réalité à travers la formation de paysages intérieurs colorés. Chaque œuvre et une nouvelle identité, un pas vers «l’autre», une démonstration consciente du défi sans fin de l’objectivité et de la recherche sans fin des dimensions personnelles de la vérité. Chaque mouvement de pinceau animé vient effacer la vérité de la toile blanche, il apporte de nouveaux défis qui se déroulent dans la large gamme de couleurs choisies.

 

L’une des principales caractéristiques de votre travail est la façon unique dont vous gérez la couleur. Quel est le rôle et la fonction de la couleur pour vous ?

À partir du moment où l’on commence à apprendre la peinture, on apprend aussi à manier la couleur. C’est le plus fondamental pour le travail d’un artiste. À travers les œuvres que je crée, je cherche à faire l’éloge de la couleur et de sa puissance expressive. Pour moi, la couleur est mon principal outil, après le dessin, pour réussir à m’exprimer sur la toile blanche. C’est de la matière et de l’énergie. J’utilise principalement des couleurs chaudes pour exprimer l’intensité, l’énergie mais aussi parfois mes sentiments personnels. Au centre de la surface picturale, si on y focalise notre observation, on apercevra un signe, un foyer énergétique, répété dans chaque œuvre. C’est venu inconsciemment, la couleur devient le canal pour capter sur la toile blanche tout ce qui me concerne.

 

Huile sur toile

 

Comment avez-vous décidé de vous éloigner de la peinture figurative, qui semble aujourd’hui gagner en intérêt à plusieurs niveaux ?

J’ai été impliqué dans la peinture figurative avant d’entrer à l’école des beaux-arts et pendant les premières années de mes études. Puis j’ai continué à dessiner sur la toile, puis en enlevant de plus en plus d’éléments, aboutissant à ce genre que je présente aujourd’hui.

Je pense que les choix de chacun ne doivent pas être jugés et déterminés uniquement sur la base de critères commerciaux. La peinture, pour moi, est une expression de moi-même et de mon monde.Qu’il s’agisse d’une installation ou d’une peinture, qu’il s’agisse d’un sujet précis ou abstrait, dans tous les cas mes œuvres sont moi, mes idées et mes sentiments.

 

Dans « l’entêtement de l’époque » et alors que de nombreux jeunes artistes renoncent à la peinture et se tournent vers d’autres moyens comme la vidéo et le son, vous vous y intéressez. Qu’est-ce qui détermine votre choix de vous consacrer à la peinture ? Cependant, nous notons que vous avez déjà expérimenté dans le dialogue de votre travail de peinture avec d’autres moyens.

L’art ne se limite pas à la peinture. C’est là que nous commençons. Je crois qu’un artiste ne devrait pas avoir peur d’essayer. J’aime m’essayer à de nouveaux sujets ainsi qu’à de nouveaux moyens d’expression. Je n’exclus donc pas de me tourner à l’avenir vers les installations ou la vidéo ou encore la scénographie. Auparavant, en tant qu’étudiante, j’avais présenté une installation à petite échelle lors d’une exposition étudiante. Plus récemment, il y a deux ans, j’ai créé une petite série de sculptures influencées par ma peinture. Tout ce qui est nouveau est un défi pour moi et chaque défi me donne de la joie et de la volonté d’y faire face. Cependant, cela ne signifie pas que j’abandonnerai la peinture.

 

Clous de chaussures, felizol, fer, 2020

 

Lorsque j’ai choisi Londres comme destination pour mes études de master, l’une des raisons était que je voulais entrer en contact avec de nouvelles tendances artistiques. Le marché de l’art et les expositions dans la capitale anglaise permettent à un artiste de découvrir une scène multiculturelle qui accueille des artistes et des œuvres du monde entier. Inévitablement, ma propre pratique artistique a été influencée par cet environnement. Dans le projet Re-introduction (2016) une de mes peintures est projetée en projection vidéo sur toile. Exposer une peinture à travers un autre médium comme la vidéo adapte et présente l’œuvre au spectateur à travers un nouvel angle. Puis le point de vue de l’observation, les émotions, le temps d’attente devant l’œuvre et l’état d’esprit du spectateur vis-à-vis de l’œuvre changent. Cela soulève diverses questions de discussion telles que : est-ce le support qui identifie l’œuvre? et comment cela pourrait-il être interprété?

 

Huile sur toile

 

Dans votre dernière série, une technique différente basée sur la création et la répétition de motifs commence à évoluer.

Mon nouveau travail est venu après une recherche interne et une série de projets expérimentaux. Grâce à l’observation et à l’introspection, j’ai trouvé qu’il y avait une raison spécifique pour créer une peinture. C’est la première trace, la première touche, la première marque qui cible la toile, qu’elle s’y pose et y reste, la première touche du pinceau sur la toile est la première pensée et cette touche sera le début. Créant sur les surfaces peintes sans styliser, impliquer ou donner forme à mon travail, j’ai l’impression que la peinture trouve sa définition qui n’est de rendre compte de rien.

 

Dans quelle mesure est-il facile d’acheter de la peinture abstraite selon votre expérience ?

Le marché de l’art est difficile car il cible déjà un public très réduit par rapport à d’autres secteurs. Quant à la vente de tableaux abstraits, je remarque de mes discussions avec les collectionneurs que les sociétés commencent à changer, l’œil humain ne se concentre plus sur la recherche du spécifique mais veut l’imperfection, veut chercher quelque chose au-delà de l’évidence. Dès lors, les peintures abstraites gagnent du terrain. Mais l’important est que nous cesserons de s’interroger si la peinture figurative ou abstraite est plus commerciale l’une de l’autre. Il est plus intéressant que  nous nous concentrerons sur la raison plus profonde qui nous fait aimer l’art, que nous l’achetons ou nous la pratiquons.

 

Comment pensez-vous évoluer votre travail? Avez-vous prévu vos nouvelles étapes?

L’idée d’image et d’illusion d’optique sont des questions qui me préoccupent dans mes prochains projets. La peinture, si on y réfléchit bien, est une illusion visuelle, un délire, un jeu visuel entre ombre et lumière qui tente de plaire au spectateur et de créer l’impression.

Huile sur toile

 

 

Maria Xypolopoulou est commissaire d’exposition et critique d’art indépendante. Actuellement, elle est doctorante en histoire à l’Université Paris 1 (Panthéon – Sorbonne). Elle travaille sa thèse sur le regard des photographes, les usages de la photographie et les représentations culturelles et du genre pendant la Première Guerre mondiale dans les Balkans. Son projet doctoral a bénéficié du soutien de l’Ecole Française d’Athènes (2017-2020) et de l’Historial de la Grande Guerre en France(2019). Elle a présenté ses projets artistiques en Grèce et en France en collaboration avec des galeries, institutions et autres commissaires d’art. Ses intérêts de recherche incluent l’histoire de l’art contemporain, l’histoire du genre, l’histoire de la photographie et particulièrement l’histoire des femmes photographes. Dans l’art on n’arrête jamais à découvrir ; des idées, des personnes, des points de vue, des sentiments. On voit et on sent. On rêve et on apprend. L’accueil chaleur que j’ai reçu la première fois que je suis entrée dans une galerie à Athènes en été 2012 m’a engagé dans l’art contemporain volontairement, sans deuxième réflexion. Plus que une pratique critique, je privilégié souvent les entretiens. Donner la parole aux artistes permet d’inscrire les traces de leurs raisonnements créatifs.