Un dialogue avec Barbara Asei Dantoni sur les mouvements et les identités

 Barbara Asei Dantoni est une artiste et designer franco-italo-camerounaise travaillant entre la France et le Cameroun. Dès l’âge de 10 ans, elle se forme au dessin académique, à la peinture et au modelage à l’école du Musée des Beaux-Arts de Pau, pendant 8 années. Puis elle intègre l’École de Design Strate à Paris dont elle sort diplômée en design avec les félicitations du Jury. En 2015 Barbara Asei Dantoni est lauréate du Jacquart Design Trophy, prix de design international lancé par la Paris Design Week. En 2021, Barbara Asei Dantoni est sélectionnée par l’Institut Français, l’Ambassade de France au Cameroun et Bandjoun Station, pour effectuer une résidence artistique au sein de ce lieu emblématique créé par l’artiste Barthélémy Toguo. Ses créations sont exposées au Centre d’Art de Bandjoun Station au sein de l’exposition collective CYENYE MKO – Mouvements et Identités. Elle expose régulièrement ses œuvres, donne des conférences et anime des ateliers artistiques autour de son travail Identités Imaginaires.A travers son projet artistique Identités Imaginaires, l’artiste explore ses racines et ses origines multiculturelles qui relient l’Afrique, la France et l’Italie. Nous avons discuté avec Barbara Asei Dantoni à l’occasion de sa participation avec la galerie Cécile Dufay à la foire de dessin contemporain DDessin à Paris. 

 Maria Xypolopoulou: Vos activités s’expandaient pour longtemps dans différents secteurs du design. Comment et quand avez-vous décidé vous lancer dans la pratique du dessin et des arts visuels ? Barbara Asei Dantoni: Je suis designer de formation, et depuis 15 ans j’ai conçu des objets, du mobilier des accessoires de mode, des espaces... Mais, en parallèle, j’ai toujours dessiné, c’est pour cette raison d’ailleurs que j'ai choisi de faire des études de design, parce que j’aimais dessiner. J’ai commencé à dessiner à l’âge de 5 ans. Et de l’âge de 10 à 18 ans, j’ai pris des cours du soir à l'école du Musée des Beaux-Arts de Pau. Je m’y suis formée à la reproduction d'œuvres, au fusain, au crayon, à l’aquarelle… Donc je dessinais at peignais avant de choisir des études de design. Un choix considéré plus « sûr » à cette époque en termes de débouchés professionnels.  Qu’a-t-il animé votre inspiration pour le projet « Identités Imaginaires » lancé en 2020 ? L’identité s’est affirmée comme l’espace de problématisation primordiale ici. Le choix du pluriel « identités » que représente-t-il pour vous ? Je suis née d’une mère noire - camerounaise - et d’un père blanc – franco-italien. J’ai grandi dans cette identité floue, cette forme de gris, cet entre-deux-mondes que l’on nomme le métissage. Dès l’enfance je me suis questionnée sur mon positionnement identitaire. Je ne ressemblais pleinement à aucun de mes parents par ma couleur de peau, et en même temps j’appartenais à leurs deux mondes. Je baignais dans plusieurs cultures familiales, à la jonction de 3 pays (la France, le Cameroun et l’Italie). En tant qu’artiste, j’ai eu envie de poser des réponses sur ces questionnements identitaires. J’ai eu envie de créer un langage nouveau pour parler de ces cultures entrecroisées, qui ensemble forment un tout polymorphe mais cohérent. Les Identités Imaginaires abordent ce mélange de cultures, comment elles cohabitent, comment elles se révèlent et se magnifient entre-elles. Elles parlent de rencontres, ces rencontres favorisées par les exils de mes parents et grands-parents.  

 Vos œuvres accrochées au mur rappellent à la fois des allures de masques sans visages et des silhouettes suspendues et fragmentées. Quels sont les enjeux lorsque vous matérialisez et vous donnez une forme à une notion aussi théorique et large que sont les « identités » ? Pourriez-vous nous parlez de votre processus créatif ? L’enjeu est d’exprimer la notion d’identités plurielles en hybridant des formes, des couleurs et des symboles liées à mes cultures multiples. J’emprunte ces éléments à la nature, aux traditions, à la spiritualité… L’idée est de repenser l’identité comme le point de convergence de nos liens à la terre, aux ancêtres et aux croyances. Par les croyances, j’entends le point de rencontre entre ma culture monothéiste (catholique) et les croyances animistes qui se perpétuent au sein des familles au Cameroun. Tout cela se mélange pour devenir une spiritualité protéiforme, qui peut mettre sur le même plan la puissance symbolique d’un arbre ou de Jésus sur la croix.Concernant le processus de création, chaque œuvre part toujours d’un tout petit croquis consigné dans un carnet, qui marque une intention formelle. À partir de là, je pars très souvent du centre de mon support (papier, toile, etc). C’est important pour moi de savoir où se situe le centre, car mon travail est très ‘centré’ : il parle de l’intime. Mes créations décrivent des paysages de l'âme, que je se situe symboliquement au niveau du ventre au sens large - estomac, utérus, poitrine.  C’est à partir de ce centre là que je peux créer, que ce soit une forme symétrique ou asymétrique. La suite est intuitive tant au niveau des couleurs que des détails de forme. L'œuvre va se construire de manière instinctive.  Nous ne pouvons appréhender l’Autre qu’en l’imaginant. Plumes, bois, cuir, papiers, tissus, vous utilisez très différentes matières pour la création de vos œuvres. Nous aimerions savoir plus sur ces choix et comment ceux-ci se relient au sujet de la thématique de l’identité. Mes sources d’inspiration gravitent autour des cérémonies traditionnelles (Cameroun) et des artefacts que l’on y trouve : ornements, parures, textiles, plumes… Mais aussi d’éléments liés à mes origines italiennes. Les matériaux que j’utilise, ou bien les effets de matières que je crée en trompe l’œil, sont donc associés à ces codes et s’en font l’écho. Quand j’utilise le métal ou bien la dorure, la couleur or, cela se rattache aux lieux sacrés, tels que les églises en Italie où l’or explose abondamment sur les murs et les objets, mais l’or fait aussi référence au féminin et aux bijoux portés par les femmes de ma famille au Cameroun, notamment ma mère. Son usage est donc lié à la fois au sacré et au féminin, qui ensemble forment le « féminin sacré ». Tous mes choix de matériaux se construisent un peu comme cela, à la croisée de la nature et de la tradition, du spirituel et de l’humain… 

 Comment voyez-vous l’évolution de ce projet ? Quelles sont vos prochaines étapes ? J’envisage ce projet comme un voyage. Un voyage au cœur de mon histoire familiale. Un voyage dans mon intimité de femme multiculturelle. Mais c’est aussi un voyage à la rencontre des autres. En explorant ce qui constitue mon humanité, je crée aussi une ouverture sur « les » humanités. Ma pratique artistique me permet de rencontrer, d’échanger, de transmettre, et chaque nouvel évènement apporte au précédent, qu’il s’agisse d’expositions, de résidences, de voyages, ou de workshop que je donne auprès de différents publics. Donc les prochaines étapes sont constituées de tout ceci. 

 

Maria Xypolopoulou: est commissaire d’exposition et critique d’art indépendante. Actuellement, elle est doctorante en histoire à l’Université Paris 1 (Panthéon –Sorbonne). Elle travaille sa thèse sur le regard des photographes, les usages de la photographie et les représentations culturelles et du genre pendant la Première Guerre mondiale dans les Balkans. Son projet doctoral a bénéficié du soutien de l’Ecole Française d’Athènes (2017-2020) et de l’Historial de la Grande Guerre en France(2019). Elle a présenté ses projets artistiques en Grèce et en France en collaboration avec des galeries, institutions et autres commissaires d’art. Ses intérêts de recherche incluent l’histoire de l’art contemporain, l’histoire du genre, l’histoire de la photographie et particulièrement l’histoire des femmes photographes.
Bogdan Afrasinei Modérateur FR/RO: Bogdan Afrăsinei/ traducteur et modérateur des nouvelles internationales sur Artevezi. En 2016, il a obtenu le certificat de traducteur juré et jusqu’à présent il a eu des collaborations avec beaucoup d’institutions et agences publiques. Depuis son enfance il a eu la chance d’être guidé dans le monde de l’art par son grand-père – historien et critique d’art roumain. Actuellement, Bogdan est en charge de modérer les nouvelles internationales et de traduire les textes français, anglais et espagnols dans la rubrique Satelit 01001 d’artevezi.
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De vorbă cu artista de origine franco-italo-cameruneză Barbara Asei Dantoni, despre mișcări și identități